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Les Yeux ouverts (1944)

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Prod./réal./ph./sc. : Maurice Gagnon ; d’après une histoire de Marie-Jeanne Patry ; commanditaire : Fédération des œuvres de charité canadiennes-françaises
Couleur, muet, 700’/23 min.
Archives : Cesif

Texte par Louis Pelletier

Une famille indigente parvient à émerger de plusieurs années de misère grâce aux actions de la Fédération des œuvres de charité canadiennes-françaises, commanditaire de ce film de fiction amateur tourné en Kodachrome. Les Yeux ouverts trahit le contexte qui fut celui de sa production par de nombreuses références à la crise économique et à la guerre, mais aussi par le choix d’un adolescent espiègle visiblement inspiré du Fridolin de Gratien Gélinas comme figure centrale de son récit. Cet adolescent, Jean, connaît des problèmes des problèmes d’assiduité et de concentration à l’école. Lui et sa sœur Yvette seront toutefois tirés d’affaire par les cantines scolaires et les colonies de vacances pour garçons et filles de la Fédération, tandis que leur mère Germaine sera sauvée d’une pneumonie par les visites quotidiennes d’une infirmière employée par le commanditaire. Oscar, le père chômeur et alcoolique, fréquente pour sa part l’assistance publique avant d’être remis sur le droit chemin par le cavalier de sa jeune sœur Henriette, Jean-Paul, qui le convainc de s’enrôler dans l’armée avec lui. Des scènes de combat plutôt surprenantes pour une production amateur (le film bénéficia de la collaboration du colonel Paul Brosseau) montrent bientôt les actions héroïques d’Oscar et Jean-Paul lors l’invasion de l’Allemagne. Grièvement blessé aux yeux pendant les combats, Jean-Paul est secouru par l’Association canadienne-françaises des aveugles, qui le place entre les mains du chirurgien qui lui rendra la vue. Le mariage d’Henriette et Jean-Paul vient compléter la transformation des membres de cette famille démunie en bons citoyens contribuant pleinement au développement de la société canadienne-française.

Les Yeux ouverts est produit par Maurice Gagnon, un cinéaste montréalais membre de l’Amateur Cinema League, à un moment charnière dans le développement des cinémas québécois et canadiens. La création de l’Office national du film du Canada (ONF) en 1939 et du Service de ciné-photographie de la province de Québec (SCP) en 1941 vient en effet de marquer un tournant important dans le développement du cinéma utilitaire et des réseaux parallèles de diffusion du cinéma. Comme la plupart des producteurs de films éducatifs, industriel et de commande, l’ONF et le SCP font à cette époque un usage grandissant du format 16 mm, que l’avènement de projecteurs sonores portables et de la pellicule couleur Kodachrome rend plus populaire que jamais. Plusieurs des cinéastes amateurs à qui l’on avait d’abord destiné le format 16 mm en profitent alors pour se lancer dans la production de films utilitaires. Gratien Gélinas monte par exemple en 1942 un studio destiné à la production de films publicitaires, éducatifs et de fiction. La même année, Jean-Marie Poitevin tourne À la croisée des chemins, un long métrage 16 mm commandé par la Société des missions étrangères de la province de Québec. Gagnon tournera quant à lui un certain nombre de films pour le SCP et la Fédération des œuvres de charité canadiennes-françaises. Ses films se démarquent de l’essentiel de la production amateur par l’usage récurrent de fondus et de travellings imitant ceux des films professionnels, de même que par leurs cartons titres et génériques reflétant le savoir-faire graphique de Gagnon, qui fait carrière comme illustrateur et bédéiste au journal La Patrie. Les moyens artisanaux de Gagnon l’empêche toutefois de sonoriser ses productions, au contraire de Gélinas, qui réussit tant bien que mal à ajouter des dialogues à La Dame aux camélias, la vraie, et de Poitevin, qui ajoute le commentaire d’un narrateur (nul autre que René Lévesque) et des scènes grossièrement postsynchronisées à son film. Le public de Les Yeux ouverts devra se contenter de sous-titres incrustés sur les images. Il n’est par ailleurs pas impossible que le film ait été accompagné par des conférenciers lors de projections organisée par la Fédération des œuvres de charité canadiennes-française.